samedi 10 septembre 2005

Le Garçon et l'Aveugle

Lisant un jour un ouvrage sur l'histoire du Moyen-Age, je découvre que le plus ancien texte théâtral en français (en picard, plus précisément) date de la seconde moitié du XIIIe siècle et est une farce originaire de Tournai. Le Garçon et l'Aveugle est "une véritable pièce, interprétée par deux jongleurs, sans doute à l'origine une parade de foire, mimant une scène de rue, une scène de la vie quotidienne, et que l'on intégra par la suite à des mystères", écrit Jean Dufournet qui a présenté en une version bilingue le texte de cette farce (1).


J'ai proposé à mon ami Yves Coumans, directeur artistique de la compagie Les Passeurs de Rêves (https://www.passeursdereves.be/fr/) de monter ce texte et de le présenter à Tournai. Je l'ai joué avec le jeune et talentueux comédien Thomas Coumans, dans une mise en scène d'Yves. Nous l'avons créé, avec l'aide précieuse du Foyer socioculturel d'Antoing, lors des Journées du Patrimoine de septembre 2005. Nous avons eu l'occasion ensuite de le jouer au pied du beffroi aux Euromédiévales de Tournai, aux Rencontres des Arts de la rue à Bruxelles et dans plusieurs écoles.
(1) "Le Garçon et l'Aveugle, jeu du XIIIe siècle", éd. Honoré Champion, Paris, 1989.










« Les interprètes sont Michel Guilbert et Thomas Coumans. Ils mettent dans cet anonyme scénario rudimentaire une énergie corporelle et vocale qui emporte l’adhésion. (…) Ils se donnent à fond pour retrouver la gouaille d’autrefois, y glissant le sel de quelques anachronismes en allusion à notre époque. »
Michel Voiturier, le Courrier de l’Escaut – septembre 2005

« Une farce tonique et turbulente (…) Le spectacle fait la part belle aux visages de la farce, privilégiant la truculence du langage et celle de la gestuelle. La misère et l’urgence virevoltent au vif d’une immoralité saisie en noir et blanc. La palette surgit d’un aujourd’hui fustigé et colorié par les imagiers « Passeurs de Rêves ».
Françoise Lison, le Courrier de l’Escaut – septembre 2006




J'en profite pour citer ce texte écrit (en mai 2011) pour répondre à la demande de Pierre Dailly, qu'il avait adressée à quelques comédiens amateurs et professionnels de son entourage: que représente pour vous le théâtre?, nous avait-il demandé.

Comme tout enfant, j’ai joué à mille jeux. Mais le jeu qui n’a jamais cessé, c’est celui du théâtre. Avec un père et un grand-père comédiens amateurs, je me suis, comme mes frères et sœurs, très tôt retrouvé « sur les planches », comme ils disaient. Pour participer à la « revue » annuelle de la paroisse, pour interpréter une version scénique d’un spectacle du « Théâtre des Poriginelles », pour jouer des entrées clownesques et des sketchs. Parmi ceux-ci, « Les Deux orphelines » que j’ai  souvent interprété, notamment en classes de neige en Suisse, représentant seul mon école devant six cents autres enfants.

Plus tard, il y eut des spectacles de clown, des formations, des ateliers, des projets avortés aussi, la participation à des spectacles aux formes très diverses.
Et aussi des chocs. Au début des années ’70, j’ai vu « Mistero Buffo » de Dario Fo, par la Nouvelle Scène Internationale à la Halle aux Draps à Tournai, présenté par la Maison de la Culture. Le théâtre pouvait donc être politique, critiquer de manière drôle et acerbe la religion et le pouvoir. En mêlant textes, mime, chant, jeu du corps, sans décor et avec un minimum de moyens. Je me souviens avoir applaudi debout. Il y eut aussi « L’âge d’or » du Théâtre du Soleil qui dénonçait le sort des travailleurs immigrés. Le théâtre n’était donc pas que vaudevilles et comédies légères, pas que celui d' Au théâtre ce soir ou des Galas Karsenty-Herbert que j’allais parfois voir avec mes parents. Le théâtre pouvait donc nous coller à notre siège, nous parler de nous, nous secouer, nous mettre en mouvement. Tout récemment, je pense à « Bloody Niggers » de Dorcy Rugamba et Jacques Delcuvellerie.
Je n’ai jamais été un fan de cinéma, ni de télévision. J’ai pratiqué un tout petit peu le premier, beaucoup la seconde, sans y prendre autant de plaisir qu’au théâtre, où on ne triche pas, où le jeu est clair. Même si ce que je préfère, c’est laisser planer le doute, jouer avec les spectateurs, les amener à s’interroger : suis-je dans une fiction ou dans la réalité ? Quand mon jeune partenaire Thomas Coumans venait mendier auprès de spectateurs au début de la représentation de la farce du XIIIe siècle « Le Garçon et l’Aveugle », certains d’entre eux s’éloignaient, mal à l’aise, ne sachant si le jeune mendiant était vrai ou non. Donneraient-ils de l’argent à un faux plus facilement qu’à un vrai ? 
« Elise et nous », que j’ai écrit suite à mon expérience parlementaire et que je joue avec la Compagnie du Tocsin (de l’Intox ?), est sous-titré « faux candidats, vrais discours ». Le théâtre est dans la vie, il suffit d’être attentif. D’où le trouble de certains spectateurs qui oublient le jeu et les comédiens et croient être face à de vrais candidats aux élections. Et qui dès lors se manifestent, s’énervent, se lèvent, prennent part au débat.
Ce que j’aime dans le théâtre, c’est sa proximité avec la réalité. Quand jouer nous aide à être.



Feux de la Saint-Jean, Mons, 25.6.2004, costume et maquillage de Nadia Vermeulen - photo: © Michel Binstok