jeudi 26 août 2021

mardi 24 août 2021

Fleurs de soleil

 Onagres dans le soleil du matin







Retour aux Pierres Jaumâtres

En février dernier, j'avais publié des photos des Pierres Jaumâtres, photos prises en 2015 (1). En voici d'autres, prises avant-hier, de ces immenses blocs de granit, façonnés par l'érosion, qui forment un site étrange.











https://michelguilbert.blogspot.com/2021/02/les-pierres-jaumatres.html

dimanche 22 août 2021

Le Paradis du bout de la rue

Une nouvelle écrite dans le cadre du concours de nouvelles organisé par la revue naturiste La Vie au soleil et publiée dans son numéro de mai-juin-juillet 2021 (n° 40). (Désolé pour la mise en page, c'est un copié-mal collé, mais je ne parviens pas à faire mieux). 


En pédalant rageusement, elle en veut à  la terre entière. En l‘occurrence, la terre entière se résume à quatre personnes. Et plus précisément à deux couples. Noémie et Nathan – les 2N, comme elle les appelle – et Sophie et Karim. Ils se sont bien trouvés, ceux-là. C’est l’amour parfait au sein de ces deux couples. Un peu trop fleur bleue à son goût d’ailleurs. Et elle, Amélie, qui a-t-elle trouvé depuis que ce pathétique Nicolas l’a plantée là un beau matin, à la veille de leurs vacances de l’an dernier, en lui disant qu’il fallait qu’il se trouve ? Personne. Pendant que monsieur se cherchait, elle se perdait. De toute façon, qui peut-elle intéresser, elle qui ne s’aime pas, se trouve trop grosse, trop lente, trop gentille, un peu gourde ?         

C’est bien la dernière fois qu’elle part en vacances avec des amis en couple. Ils s’aiment trop, ces couples-là, passent trop de temps à roucouler deux par deux et elle, à tout moment, elle a l’impression de tenir la chandelle.                                                                                                                                                          Ils ont pris l’habitude de faire une sieste après le déjeuner. Parce que tu comprends, Amélie, il faut savoir jouir… de la vie, dit Sophie, en jetant des regards appuyés à Karim qui rit niaisement en montant l’escalier. Les 2N sont plus discrets. Noémie en montant l’escalier lui lance : « une petite sieste d’un petit quart d’heure et on arrive ». Pendant ce temps, pour ne pas entendre le moindre bruit évocateur, elle fait la vaisselle. Et une demi-heure ou une heure et demie après, elle les voit revenir, extatiques, la retrouver dans le jardin où elle lit dans le hamac.                                                                                                                Alors, le quatrième jour, au moment d’entamer une vaisselle de plus, elle monte dans sa chambre, enfile son bikini, un short et un t-shirt, met dans un sac une serviette, un tube de crème solaire, une bouteille d’eau et un bouquin et enfourche son vélo. Au-dessus de la vaisselle sale, elle a laissé un billet : « A ce soir ».

Délaissant leur plage habituelle à la sortie du bourg, elle quitte le village vers le sud, suivant la côte. Après quelques kilomètres sur une petite route bordée de pins, elle repère, à hauteur d’un parking où stationnent une petite vingtaine de voitures un chemin qui visiblement mène à la mer au-delà des dunes. A cinquante mètres, de nombreux vélos sont cadenassés à des structures en bois. Elle y ajoute le sien et poursuit le sentier à pied. Après quelques dizaines de mètres, le chemin fait un coude, puis descend entre deux dunes qui lui cachent la vue sur la mer.                                                                                                              Arrivée sur la plage, elle s’arrête, bouche bée. Devant elle, à gauche, à droite, tous les gens sont nus. Elle a abouti sur une plage naturiste. Elle est incapable de bouger. Son envie de faire demi-tour à toutes jambes est contrariée par sa peur d’avoir l’air ridicule autant que par sa curiosité. Elle fait un pas de côté pour laisser passer un couple qui arrive sur la plage, s’excuse d’être sur son chemin. L’homme a à peine fait quelques pas qu’il déboutonne son short, le laisse tomber à ses pieds et le glisse dans le sac qu’il porte à l’épaule. Il a les fesses nues. Amélie continue à les regarder s’installer. Ils ont étendu au sol leurs serviettes, ont rapidement ôté leur t-shirt et la femme a dégrafé sa jupe courte sous laquelle elle ne portait rien. Voilà, c’est aussi simple. Et personne sur cette plage – à part elle - ne leur a prêté attention. Certains somnolent, d’autres lisent, bavardent, se dirigent vers la mer ou en reviennent. Une maman allaite son bébé. Mais être nu est visiblement pour tous ces gens une tenue parfaitement normale.

Amélie s’installe au pied de la dune, espérant être vue le moins possible tout en pouvant observer les baigneurs et comprendre les us et coutumes de cette plage. Elle prend le temps d’étendre sa serviette au sol, l’y maintient avec quelques cailloux. Elle s’assied, ôte son short et son t-shirt, puis s’allonge sur le ventre et dégrafe le haut de son bikini.  Elle tente de s’enduire le dos de crème solaire.

- C’est difficile toute seule, non ? Vous voulez que je vous aide ? 

Surprise, elle lève le nez. Se trouve face à une femme souriante, dont le corps a pris partout une couleur spéculoos. Elle doit avoir l’âge de sa mère. Peut-être de sa grand-mère.

- Euh… non. Je ne sais pas, ça va aller. Enfin, oui… je veux bien.

Elle lui tend son tube de crème, sans oser la regarder. La situation lui semble tellement étrange. Inhabituelle en tout cas. La femme s’agenouille à ses côtés, met un peu de crème solaire dans ses mains qu’elle frotte l’une contre l’autre avant de l’étendre sur son dos, rapidement mais fermement.

-  Voilà. C’est quand même plus facile, non ? Vous ferez le reste vous-même quand vous aurez quitté votre slip de bain.

- Oui, merci. Je ne sais pas si… Je… J’ai besoin d’un peu de temps.

- C’est la première fois ? Eh bien alors, oui, prenez votre temps. Le temps qu’il vous faudra. Mais vous verrez : une fois qu’on a franchi le cap, quel sentiment de liberté ! Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas, on est à côté, dit la femme en désignant, à une vingtaine de mètres, un homme aux cheveux blancs allongé, une casquette en travers du visage et un livre à la main. 

Elle regarde les gens. Ils ont tous les physiques imaginables. Des petites ou des grosses fesses, des seins et des pénis de toutes tailles et de toutes formes, du ventre, un peu, beaucoup, pas du tout.  Elle aperçoit une jeune femme qui a perdu un sein. Elle voit des corps jeunes, d’autres qui affichent de nombreuses marques de l’âge. Personne ne correspond aux canons de la beauté. Elle a beau le savoir, aucun corps n’est parfait, mais la pub ne cesse de nous envoyer des injonctions à nous conformer à des modèles.  Ici, tous ces gens, elle les trouve beaux. Ces corps sont ce qu’ils sont, ils ne se cachent pas. Ils existent. Libres.                

Une grand-mère fait la course avec son petit-fils. Un père construit un château de sable avec ses deux enfants. Quatre personnes jouent à la pétanque là où le sable est plus ferme. Un petit garçon et une petite fille reviennent de la mer, attentifs à ne pas renverser l’eau qu’ils ramènent dans un seau qu’ils tiennent entre eux deux. Les enfants ont l’air de vivre leur nudité le plus naturellement du monde. Amélie se dit qu’elle aurait aimé vivre cela quand elle était enfant, mais ses parents étaient beaucoup trop prudes.        Ce qu’elle constate aussi, c’est que la plage est extrêmement propre et qu’on n’y entend rien d‘autre que quelques cris d’enfants et le bruit des vagues. Elle pense à son énervement hier encore de voir ce groupe sur la plage qui diffusait une musique audible loin autour de lui ou à ce couple qui est parti en abandonnant ses déchets sur le sable. Rien de tout cela ici.

Amélie s’allonge sur le côté et lit. Depuis ses études de biologie, elle s’est passionnée pour les arbres. Elle vient d’entamer la lecture d’un ouvrage de David G. Haskell : « Ecoute l’arbre et la feuille ».  Le biologiste américain s’est lancé dans l’observation et surtout dans l’écoute – au sens littéral - de douze arbres dans le monde qu’il a fréquentés régulièrement. Le premier chapitre est consacré à un ceibo, un arbre d’Amérique du sud aux belles fleurs rouges, de la forêt amazonienne. Et voilà qu’après quelques pages, Amélie tombe sur un passage où Haskell, décrivant les sons qui se succèdent aux différents niveaux de cet arbre de quarante mètres de hauteur, constate que ses vêtements non seulement rendent sa respiration difficile mais perturbent aussi son audition. Il pense que les indigènes Waorani sont handicapés par les vêtements que leur ont imposés les missionnaires, parce qu’ils émoussent l’ouïe de ceux qui les portent en forêt. David G. Haskell note aussi combien les habits peuvent être également une gêne à cause de l’humidité qu’ils conservent longtemps. Il en a fait l’expérience : dix minutes après une averse, il avait la peau sèche, mais il a fallu des jours pour que ses vêtements trempés ne soient plus qu’humides.       C’est fou que je lise ça ici, mais il n’y a pas de hasard sans doute, se dit Amélie, en refermant le livre alors qu’elle s’assoupit. 

Elle se réveille étonnée d’être là, de son audace et décide, d’un seul mouvement, d’assumer totalement sa présence sur cette plage. Elle se rend compte que si elle veut passer à peu près inaperçue pour aller jusqu’à la mer, elle doit enlever son maillot. Ce qu’elle fait prestement, presque sans réfléchir. Elle marche d’un bon pas vers la mer, croise une femme qui en revient souriante. Ici, se dit-elle, flotte un sentiment si pas de bonheur, en tout cas de bien-être. Elle entre dans la mer et se fait fouetter par les vagues. La mer est trop forte pour qu’elle ose nager. Elle aime le claquement des vagues sur son corps et se rend compte que l’absence de maillot, de toute contrainte vestimentaire lui permet de ressentir le plaisir de l’eau, du vent et du soleil par tous les pores de sa peau. Après une petite demi-heure de jeu avec les vagues, elle regagne sa place avec un sentiment de liberté qu’elle n’a jamais ressenti à ce point. Elle découvre le plaisir de sortir de l’eau sans un maillot qui vous colle à la peau, conserve le poids de l’eau, vous empêche de vous sécher. Ici, pas besoin de s’entortiller sous une grande serviette pour se cacher des regards. Il suffit de s’allonger sur sa serviette et laisser le soleil vous sécher.

En fin d’après-midi, Amélie reprend le chemin du gîte. Elle pédale lentement cette fois, pleinement apaisée. 

- Ben, où t’étais passée ? On commençait à s’inquiéter !, lui lance Noémie. 

- Au paradis, répond-elle.

- Comment ça, au paradis ?

- Oui, au jardin d’Eden. En fait, c’est une plage, pas un jardin. Une plage à peine plus loin que le bout de la rue, où tous les gens sont nus.

- Quoi ? Tu rigoles ? T’as passé ton aprèm’ sur une plage de nudistes, c’est ça ?

- Non, sur une plage naturiste.

Et Amélie ne se fait pas prier pour décrire cette plage à ses quatre amis, ce sentiment de liberté, de sécurité, de quiétude, ce respect des autres et de l’environnement.

- Si vous voulez, je vous y emmène demain, ajoute-t-elle. 

- Oh oui !, s’exclame Sophie, j’en ai toujours eu envie, mais j’ai jamais osé. Tu viendras aussi, Karim ?

- Euh… je ne sais pas, peut-être, faut voir…

- En tout cas, ce sera sans moi, dit Nathan, hors de question que je me mette

à poil devant des inconnus !

- Ah bon, demande Sophie, parce que tu le ferais devant des gens que tu connais? Ben, vas-y, profite du jardin ici !

- Non, mais ça va pas ? C’est bon ! C’est pas mon truc, c’est tout.

- Et toi, Noémie, demande Amélie, tu nous accompagnes ? 

- Je ne sais pas, en même temps, ça me tente, et en même temps ça me paraît tellement bizarre.

- Tu sais ce qui est vraiment bizarre ?, rétorque Amélie : c’est le maillot de bain. Quand on y pense, c’est quand même le vêtement le plus stupide qui soit.  On ne prend pas sa douche ou son bain avec un maillot. Pourquoi faut-il en porter un quand on se baigne dans la mer ? Pourquoi faut-il protéger certaines parties de son corps du regard des autres ? Faut essayer ! Vraiment ! Vous verrez, c’est une sensation qu’on ne peut pas raconter. Il faut la vivre pour comprendre.

Ils sont quatre le lendemain en fin de matinée à prendre le chemin du jardin d’Eden. Nathan a refusé de les accompagner.                                                                                                                                                

Ils reviennent en fin d’après-midi, conquis. Ils retrouvent Nathan emballé dans le hamac. Seules en sortent sa tête et sa main droite qui tient un polar.

- Alors ?, leur demande-t-il.

- Alors, c’était gé-nial, expliquent-ils. Carrément génial !

Au point qu’ils en sont à imaginer de passer leurs vacances de l’an prochain dans un camping naturiste en bord de mer.

- Tu as un an pour t’y faire, lui dit Noémie en riant.

- Un an, c’est plus qu’il ne m’en faut. C’est tout réfléchi, dit-il froidement.

Il balance ses deux jambes hors du hamac et se met debout. Il est nu. Il rit. Il explique qu’il a profité de sa solitude pour abandonner ses vêtements le temps de se préparer à manger, puis pour  faire la vaisselle et donner un coup de balai. Il n’a pas eu envie de les remettre.

- En tout cas, déclare Amélie, l’an prochain, je serai des vôtres. Mais avec un nouvel amoureux. Je sais que je suis exigeante, mais j’ajoute un critère dans mes choix : il devra être naturiste ou prêt à le devenir. Mais j’ai un an pour le trouver. J’ai confiance !