jeudi 13 avril 2017

Les Origines du Beau

J'ai écrit ce texte pour le vernissage du Festival du Beau centré sur le thème des origines. Le Beau est un hameau du village de Chaillac dans le sud de l'Indre. C'est là que l'association RELAIS ( http://www.asso-relais.com / http://asso-relais.over-blog.com ) cultive dans ses beaux jardins des légumes très divers, avec des variétés (pas complètement) oubliées.
J'ai conté ce texte lors d'une balade-vernissage des œuvres d'une trentaine d'artistes le 29 avril 2017. J'ai eu le plaisir d'y être accompagné de mon ami Serge Bulot, musicien voyageur qui a joué de ses instruments d'origine au cours de la visite, avant de donner un concert centré sur l'origine des instruments.

Les Origines du Beau


Mesdames et Messieurs,
Dames en Heren,
Ladies and Gentlemen,
Ravi de vous rencontrer, je serai votre guide cet après-midi, mandaté par le Syndicat d‘initiative du Beau.
C’est à un court voyage dans l’espace et à un immense voyage dans le temps que nous vous invitons.


Dans un temps que les moins de 200.000 ans ne peuvent pas connaître.

Nous allons, en ce voyage, revenir à nos origines à tous grâce aux œuvres créées pour l’occasion par une petite trentaine d’artistes (dont la plupart sont parmi nous). Comme ils sont nombreux, nous n’aurons pas le temps de leur donner la parole pour présenter leur travail, mais  vous aurez l’occasion ensuite d’échanger avec eux.
Je vous raconterai aussi les origines du B(b)eau, avec ou sans majuscule. Je vous partagerai les incroyables découvertes que nous avons faites récemment.
Ce voyage, nous le ferons en compagnie de notre musicien voyageur Serge Bulot qui passe le plus clair de son temps à le remonter, pour ensuite revenir à nous avec des instruments d’origine… Vous l’entendrez au cours de cette balade, mais plus encore lors du concert qu’il donnera après celle-ci.

Cette histoire, celle des origines du Beau, je la tiens de mon arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père (que j’ai peu connu) : un homo très sapiens qui tenait lui-même cette histoire de son arrière-arrière-arrière-arrière- arrière-grand-père, un vieux singe à qui il était difficile d’apprendre à faire des grimaces. C’était quelqu’un de coriace, qui a fait de vieux os. La preuve avec Monsieur Bulot qui lors de ses vacances en a retrouvés quelques-uns qui nous racontent son histoire.

Sans doute ce vieux singe (ou vieux sage) est-il aussi votre arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père, car nous avons tant d’atomes en commun.
Nos atomes ont plus de 13 milliards d’années. Ils remontent au Big-Bang. Nous sommes faits d’atomes qui se sont fabriqués à partir d’autres atomes. Ainsi nous tous, êtres vivants, sommes des sacs de vieux vieux atomes que les hasards, les tours et détours de la vie ont réunis. Nous sommes tous faits des autres, de migrations atomiques.[1]
Je vous invite à présent à prendre le chemin de nos origines et à découvrir les œuvres qui en attestent. Nous devons répondre à deux questions. La première : d’où venons-nous ? Chacun trouvera sa réponse ou non. La 2: où allons-nous ? Dans le mur ! Suivez le guide !

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Je vous avais promis de vous conter les origines du Beau. Nous y voici.
Dans les vieux vieux temps, il n’y avait sur terre que de l’eau.
Pas de terre, pas de sable, pas de plage, pas d’îles, pas de montagnes.
De l’eau, de l’eau, de l’eau.
La mer recouvrait l’ensemble de la planète. Pourquoi appelait-on alors cette planète la Terre, me demanderez-vous ? C’est que dans les vieux vieux temps on n’était pas cohérent cohérent.
Mais c’est sans doute cette réflexion qui amena Poséidon, dieu des océans et des tremblements de terre, Achlys, déesse du poison et du malheur, et Até, déesse de la faute et de l’égarement, à provoquer une éruption sous-marine qui fit surgir des abysses des terres sous forme de cratères crachant le feu.
Après de longs longs temps, ces terres vomies se refroidirent et formèrent un premier continent, étroit, sombre, aride, sec et inculte au-dessus duquel pesaient en permanence de lourds nuages qui ne donnaient jamais de pluie. Une terre grise et inhospitalière sur laquelle s’installèrent néanmoins des paons marins. Poséidon était le dieu des océans, des tremblements de terre, mais aussi des chevaux et des paons marins. Il donna cette terre à ces derniers.
Le Paon Marin, animal préhistorique, se pavanait sur ce continent dont il était le maître, fier d’y être né, de son front néandertal et de sa queue d’écailles blondes.
Dans l’espèce Paon Marin – que certains appelaient Marin Le Paon – c’était la femelle qui dominait. Sa terre fut baptisée Le Moche, il est vrai que ses habitants étaient ternes et grognons et rejetaient qui n’était pas comme eux.

Les autres dieux du lointain lointain ciel ne pouvaient demeurer sans réagir.
Ils furent nombreux à assembler leurs forces :
-       Aphrodite, déesse de l’amour et de la beauté ;
-       Chloris, déesse des fleurs ;
-       Déméter, déesse des moissons et des saisons ;
-       Dionysos, dieu du vin et des fêtes ;
-       Gaïa, déesse de la terre ;
-       Ploutos, dieu de l’abondance ;
-       et Priape, dieu de la fertilité, des jardins et des troupeaux.
Une autre terre est possible, se dirent-ils, et tous ensemble, ils provoquèrent une nouvelle éruption et firent surgir un nouveau continent.
Mais leur terre était, elle aussi, informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme.

Alors, les dieux dirent : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. « Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel, pour séparer le jour de la nuit. Et ce fut ainsi.
Il y eut un grand luminaire pour commander au jour, et un plus petit pour commander à la nuit ; ils firent aussi les étoiles.
Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour. Les dieux se dirent que cela était… beau.

Puis, les dieux dirent : « Que la terre produise l’herbe, la plante qui porte sa semence, et que, sur la terre, l’arbre à fruit donne le fruit qui porte sa semence. » Et ce fut ainsi.
Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour. Les dieux se dirent que cela était… beau.

Puis, les dieux dirent : « Que le vent permette aux graines de se répandre à travers le continent et  qu’il soit modulé pour créer la musique. » Et ce fut ainsi.
Il y eut un soir, il y eut un matin : troisième jour. Les dieux se dirent que cela était… beau.

Puis, les dieux dirent : « Que les oiseaux profitent du vent, qu’ils volent au-dessus de la terre, répandent leurs chants mélodieux sous le firmament du ciel et colorent la terre de leur plumage. »
Et ce fut ainsi. Il y eut un soir, il y eut un matin : quatrième jour. Les dieux se dirent que cela était… beau.

Puis, les dieux dirent : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce, vertébrés et invertébrés, bestiaux, bestioles et bêtes sauvages selon leur espèce. »
Et ce fut ainsi. Il y eut un soir, il y eut un matin : cinquième jour. Les dieux se dirent que cela était… beau.
Et à force de se répéter que cela était beau, ils se dirent qu’ils avaient trouvé là le nom à donner à cette terre. Ils l’appelèrent tout simplement Le Beau.

Puis, les dieux dirent : « Que les hommes, les femmes et les enfants jouissent de ces fertiles terres du Beau, les fassent fructifier, les partagent et se multiplient ».
Et ce fut ainsi. Ils créèrent les habitants de cette terre à leur image. C’est ainsi qu’on en parle en disant : « du beau, du bon, du beau nez ». Les habitants du Beau ont, à l’image de leurs créateurs, le nez grec
Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour. Les dieux se dirent que cela était… beau.

Le septième jour, les dieux se promenèrent.
Prenons-nous pour des dieux. Faisons-en autant.

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Puis, les dieux, fatigués, après cette semaine si créative, se dirent qu’il serait bon de confier à un personnage puissant et fertile la protection de cette terre nouvelle. De lui passer le relais en quelque sorte. De commun accord, ils choisirent Io, cette mortelle dont Zeus était tombé amoureux et qu’il avait transformée en génisse pour la soustraire à la jalousie d’Héra. Io avait une sœur jumelle inséparable qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Dès lors, pourquoi l’appeler différemment, si de toute façon on ne pouvait les distinguer l’une de l’autre ? Elle fut donc également prénommée Io.
Ce fut donc à Io et Io qu’incomba la responsabilité de faire fructifier ces terres du Beau, de les rendre verdoyantes et généreuses.

Les terres du Beau ont proliféré par rhizomes. Elles se sont étendues à travers la planète, avec plus ou moins de bonheur. Mais, vous l’avez compris, c’est ici que tout a commencé.
Ici, Io et Io furent rejointes, plus tard, par de nombreux autres habitants, venus d’un peu partout. Et notamment du nord.


Des Beaux de France, du Pays de la Gique, qualifiée de belle, ou plus au nord encore des Pays Beaux qu’on appelle aussi Bollande (het Mooiland). Certains représentants se sont exprimés ici. Par exemple, les œuvres que vous voyez ici ont été réalisés par des Bollanders, des artistes bollandais.







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Nous voici dans le jardin qui inspira celui des Hespérides. Un verger de pommiers.
La pomme est à la fois bénéfique et, comme son nom latin l’indique, maléfique.
Bénéfique parce qu’elle est l’aliment santé par excellence. Le terme pommade vient de la pomme. Elle guérit. Riche en apports nutritionnels et en antioxydants, elle participe à la régulation du transit intestinal, à la qualité de la flore bactérienne et à l’amélioration de la fonction digestive, elle combat l’obésité, le cancer et le diabète.
Mais la pomme est aussi le fruit défendu. Le pommier domestique est le malus domestica. Malus qui a donné mal. Malheur à celui – surtout à celle – qui se laissera tenter par la pomme. Eve et Blanche-Neige ont payé chèrement leur goût pour la pomme. Peut-être est-ce en leur souvenir qu’une variété de pommes de l’Indre s’appelle « belle fille » ?  La belle fille ne peut être que fille du Beau…
Dans le jardin des Hespérides, dans la mythologie grecque, les pommes d’or apportaient l’immortalité, mais elles étaient défendues par un dragon à cent têtes. Les pommes du jardin d’Avalon dans la légende arthurienne assuraient, elles aussi, l’immortalité. Merlin se servait de ses pommes pour ses expériences magiques.
Dans la Bible,  la pomme représente la connaissance et le malheur à la fois. Si connaître, c’est vivre dans le malheur, alors vivons dans le malheur et mangeons des pommes !
« Ma pomme, c’est moi, j’suis plus heureux qu’un roi ! »
                      
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Vous vous souvenez du paon marin ? Marin Le Paon, éternel grognon, peu satisfait de vivre dans son triste pays baptisé Le Moche, ne tarda pas à se montrer jaloux et voulut faire sienne la terre de cocagne qu’est Le Beau. Il envoya son champion la conquérir. C’était un énorme mammouth, plus grand que les autres, un mammuthus primigenius de plus de quatre mètres de haut.
Mais il ne suffit pas à impressionner les habitants du Beau qui conjuguèrent leurs forces et leur courage et réussirent à tuer le mammouth à l’aide de leurs sagaies.
A vous de jouer, vous qui êtes aujourd’hui les dignes descendants des premiers habitants du Beau : lancez vos épieux sur le mammouth du Moche. Ne laissez pas la laideur l’emporter !

Et comme au Beau, tout, même les actes les plus sordides, se transforme positivement, vos lances, aussitôt plantées dans l’épaisse laine du mammouth, vont se changer en tuteurs, soutiens pour de nouvelles plantes qui se lanceront à la conquête du ciel.
C’est ici-même – on le sait peu - que le passage s’est opéré d’une société de chasseurs-cueilleurs à une société d’agriculteurs qui ont appris à récupérer les graines, à les faire germer et pousser.
Allez-y : plantez les graines !
Et revenez dans les semaines qui suivent les voir croître et se multiplier !

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Mesdames et Messieurs,
Dames en Heren,
Ladies and Gentlemen,
Les informations qui suivent, je les tiens des A.B. : les Archives du Beau.
Vous savez que la région est très argileuse, cette argile a été utilisée par des paysans du coin qui l’ont utilisée en poterie.
Des éléments de poterie du XIVe siècle ont été trouvés au Bas-Milloux.
Mais c’est surtout du XVIIIe siècle à la fin du XIXe que de nombreux habitants du Beau furent potiers, une manière peu coûteuse d’améliorer leur quotidien.
Les terres ici étaient alors assez médiocres, même si elles se sont améliorées à partir du début du XIXe.

Les habitants d’ici, au XVIIIe siècle, étaient de petits propriétaires qui possédaient tout au plus 1 ou 2 hectares de terres et quelques têtes de bétail. Le fait d’être propriétaires les préservait de la condition de prolétaires ruraux menacés par une extrême pauvreté.
Les nombreuses brandes permettaient d’élever des bestiaux. C’était la ressource principale des habitants, mais elle était insuffisante pour leur assurer un niveau de vie correct. Ils cherchaient dès lors des revenus supplémentaires.
Nombre d’entre eux étaient maçons et émigraient vers le nord chaque saison (c’était une tradition dans la Marche).  Au début du XIXe siècle, plus de 200 maçons quittaient chaque année Chaillac pour aller travailler en région parisienne.
D’autres habitants ont développé une activité de potier, en utilisant les filons d’argile de la région. Une activité qui nécessitait un faible investissement et était pratiquée durant les longues journées d’été et durant la morte-saison.
C’était une activité modeste, y compris en termes de revenus financiers.
Leur production ne s’est diffusée que très localement, guère au-delà de Chaillac.
Leurs poteries en terre rouge ne pouvaient contenir que des liquides froids.

Le premier habitant de Chaillac à être officiellement renseigné comme « potier en terre » fut François Dubost, né en 1702.                                   
La famille Dubost était vraisemblablement originaire du village du Beau (qui s’écrivait Bost à l’époque). 
La famille Pisson fut la plus importante famille de potiers de Milloux – elle compta 15 potiers : de Sylvain (né en 1716) à Sylvain (mort en 1907, dernier des potiers de Milloux).
Vers 1740, on comptait 5 familles de potiers à Milloux – 8 en 1836.
En 1793, un habitant de Milloux est renseigné comme marchand de poteries.
                                  
Citons aussi parmi les familles potières qui habitèrent Le Beau :                                       
·      la famille Hivernat (dont Léonard et Jean-Baptiste furent potiers)
·      la famille Nogrette, avec notamment Jean qui a épousé en 1839 Marie Cornichon, dont le nom annonçait sans doute la future vocation du village du Beau... (dont on trouve encore ici même des descendants…).[2]

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[1] Voir Nicole Ferroni : https://www.youtube.com/watch?v=NMtjMPHtV5o
[2] Extraits de « Potiers et poteries de Milloux à Chaillac (Indre) – de la fin du Moyen-Age au XXe siècle », Jean Robinet et Jean-Pierre Surrault, C.R.E.D.I. éditions.