Avec Hélène Bargibant, ma compagne, chanteuse classique, nous avions constitué Le Duo Rond (http://duorond.blogspot.fr) : nous contions et chantions le plaisir du vin dans des dégustations.
C'est dans ce cadre que j'ai écrit cette histoire.
C'est dans ce cadre que j'ai écrit cette histoire.
L’AFFAIRE DU 22 JANVIER
(une histoire à lire et à dire)
(une histoire à lire et à dire)
L’homme poussait une espèce de petite
charrette extraordinaire,
Pleine de bouteilles vides et d’un étrange
enchevêtrement de tuyaux en verre. Qu’est-ce qu’il pouvait bien en faire ?
Il portait une barbe de trois jours, était
coiffé d’une queue de cheval, vêtu d’une longue parka et chaussé de sandales,
dans lesquelles il était pieds nus.
Il était entré en ville, venant de la
direction du sud-ouest, par la grande avenue.
Quel âge pouvait-il avoir ? Vous
voudriez le savoir ?
Difficile à dire… Je lui donne environ
trente ans, mais j’avais oublié mes lunettes et c’était bientôt le soir.
Ce que je peux vous dire avec certitude,
c’est que c’était le 22 janvier, je m’en souviens parce que c’est la
Saint-Vincent,
Le patron des vignerons, que j’ai pris
l’habitude de fêter en passant
Deux fois plutôt qu’une par le bar à vin
de Jef, qu’on appelle Obélix,
Parce qu’il est tombé dedans quand il
était petit (je veux dire : dans le vin), il est tombé alors qu’il
poursuivait son chat Félix.
La petite dame qui l’accompagnait –
l’homme à la queue de cheval, pas Obélix - la petite dame qui l’accompagnait -
Oui, j’aurais pu le dire plus tôt : il
y avait une petite dame qui marchait à ses côtés. Elle était menue, habillée d’un tailleur strict, l’air
effacé -
La petite dame qui l’accompagnait - Quel
âge pouvait-elle avoir ? Vous voudriez le savoir ?
Difficile à dire… Je lui donne environ
cinquante ans, mais je vous l’ai dit : j’avais oublié mes lunettes et
c’était bientôt le soir.
La petite dame qui l’accompagnait donc a
dit à Jicé - oui, il s’appelait Jicé, l’homme à la queue de cheval. Je l’ai
appris plus tard, mais autant le dire tout de suite.
Ce sera plus facile pour la suite.
La petite dame qui l’accompagnait lui a
dit quelque chose que je n’ai pas entendu.
Et Jicé lui a répondu : Mais Maman,
tu le sais bien, mon heure n’est pas encore venue.
Après quelques secondes cependant, il a
ajouté : allez, c’est bien parce que c’est toi.
Je l’ai alors vu empoigner une corne qui
était suspendue à son cou, corne dans laquelle il a soufflé longuement trois
fois.
Très vite, les portes des maisons des
alentours se sont ouvertes et les habitants sont sortis de chez eux avec des
récipients remplis d’eau.
Certains portaient des bouteilles, des
flacons, des carafes ; d’autres des brocs, des pots et même des seaux.
Jicé versait dans un grand entonnoir l’eau
que les gens lui passaient.
Et eux la récupéraient de l’autre côté de
la charrette. Mais au passage, elle était devenue rouge, l’eau, un peu
violacée.
Les habitants buvaient et poussaient des
cris de joie. Ils criaient :
Bravo, Jicé ! Merci, Jicé ! Il
est délicieux ! Encore meilleur que l’an dernier ! Il est
divin !
Je sais que vous ne me croirez pas, mais
c’est la vérité : cet homme transformait l’eau en vin.
Jicé leur dit : prenez et buvez-en
tous, ceci est mon Tursan.
Ici, j’ouvre une parenthèse
Pour signaler à ceux d’entre vous qui
l’ignoreraient que le Tursan est un vin du sud-ouest de la France.
Sans cette précision, le jeu de mots de
Jicé perdrait tout son sens.
Je ferme la parenthèse.
Donc Jicé leur dit : prenez et
buvez-en tous, ceci est mon Tursan.
Sa mère ajouta qu’il faut boire avec
modération de ce vin.
Elle avait le souci que soit respectée la loi Evin.
Elle avait le souci que soit respectée la loi Evin.
A ce moment arrivent deux cyclistes
portant casquette.
Les voilà qui arrêtent leurs bicyclettes.
Intrigués par le manège de ces gens qui
portent un liquide ressemblant à du vin,
On les sent aux aguets. On a affaire à des
fonctionnaires très malins.
L’un est l’agent des douanes Dupin (comme
George Sand),
L’autre l’agent des accises Lupin (comme
Arsène), le genre qui adore distribuer des amendes.
Ils demandent à Jicé de leur servir de ce
liquide.
Avec plaisir, leur dit-il, mais il faut
que vous me fournissiez de l’eau. Or leurs gourdes étaient vides.
Moi, j’en ai tant et plus de l’eau, leur
dit un homme visiblement très âgé,
Et je peux sans problème vous en donner.
Et les voilà tous trois qui récupèrent le
breuvage de l’autre côté de la charrette.
Les uns dans leurs gourdes, l’autre dans
une canette.
Tout en buvant à petites lampées, le
vieillard demande à Jicé s’il y a des vignes au paradis.
Il n’y avait jamais été, il n’y avait
jamais pensé, c’est ce que Jicé lui répondit.
Mais il ajouta qu’il connaissait quelqu’un
de haut placé et il sortit un téléphone mobile de sa parka.
Il appuya sur la touche 1, s’éloigna
quelques minutes en parlant tout bas.
J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle,
dit-il, au vieil homme d’un ton badin.
La bonne, c’est qu’au paradis il y a
effectivement des vignes, qui produisent uniquement de grands vins :
Nuits-Saint-Georges, Saint-Emilion,
Saint-Amour, Saint-Joseph, Saint-Estèphe, Saint-Véran, Sainte-Croix-du-Mont,
Château L’Evangile, Château l’Angélus, Châteauneuf-du-Pape, Saint-Julien …
La mauvaise nouvelle, c’est que ces
vignes, mon pauvre monsieur, vous commencez à les tailler dès demain.
Oh, je ne suis guère surpris, dit le
vieux. C’est vrai qu’il y a un temps pour tout. Et je sais que pour moi, il se
fait tard.
Et comme disait Platon, « le vin est
le lait des vieillards ».
Et puis, ça me rappellera ma jeunesse, dit
l’ancien.
Le temps où je faisais les vendanges à
Saint-Pourçain.
C’est bien du vin et du bon !, dit en
claquant la langue Dupin.
Je dirais même plus : on dirait le
petit Jésus en culotte de velours, ajouta Lupin.
Remettez-nous un petit coup, il a comme un
goût de trop peu.
Nous
devons absolument déterminer le cépage. C’est obligatoire pour le formulaire 423/9285-28bis/120E.
Jicé proteste : mais Messieurs, vous
voyez bien qu’il ne s’agit que d’eau transformée.
Vous n’allez quand même pas la taxer.
Le patron a décidé que l’homme gagnerait
sa vie à la sueur de son front.
Et ça, ça donne soif. Alors, je m’efforce
de l’alléger, la vie de l’homme, de lui rendre les jours plus ronds.
La mère de Jicé les interpelle : le
vin rend le teint beau, ne trouvez-pas ?
Etes-vous buveurs d’eau, Messieurs ?
Vos faces ne l’indiquent pas.
Mais leur conscience professionnelle fut
la plus forte, les obligeant à boire encore un verre, puis un autre et quelques
autres à la suite, pour se forger une opinion.
Cot ? Pinot ? Merlot ?
Malbec ? Syrah ? Cabernet Sauvignon ?
Ils sont en tout cas d’accord : il a
un goût de pierre à fusil, d’épices et une petite note de framboise.
Et les voilà qui se mettent à chanter:
« Elle s’appelait Françoise, mais on l’appelait Framboise. Une idée de
l’adjudant, qui en avait très peu pourtant, des idées ».
Ils enfourchent leurs vélos et s’en vont, cahin-caha,
en chantant, sans même se retourner.
Messieurs
les douaniers, leur crie Jicé, vous ne me demandez pas si j’ai quelque chose à déclarer ?
C’est
que j’en ai des choses à déclarer :
-
En vérité, je vous le dis : Heureux les
pauvres ivrognes, car le peu qu’ils auront ils le verront en double.
-
En vérité, je vous le dis : comme le père
Lacordaire, je pense que : « Non ! Le vin n’est pas une
invention du diable, mais un don de notre Père qui nous connaît et nous
aime ».
-
En vérité, je vous le dis : comme le roi
Henri IV, je suis sûr que: « Bonne cuisine et bon vin font le paradis sur
terre ».
-
Et Jicé termina avec cette phrase qui, personnellement,
m’a laissé sans voix : Comme le disait Pierre Dac: « Je préfère le
vin d’ici à l’eau de là ».
Voilà
toute l’histoire, telle que j’y ai assisté.
Je
l’ai intitulée « L’affaire du 22 janvier » en référence à
« L’affaire du 21 décembre » de Norge qui dans sa structure m’a quelque
peu inspiré.