A propos de masques, comment t'habillais-tu à Carnaval? Pour moi, c'est la seule fête qui mérite son nom. Les autres veulent rappeler quelque chose, celle-ci veut au contraire tout oublier. On retire les vêtements graisseux de sa propre identité et on en revêt une autre pour s'amuser. Personne ne juge, les hiérarchies n'existent pas. C'est une fête anarchique, elle devrait te plaire.
Erri De Luca, "Le tour de l'oie".
En 1995, le carnaval de Tournai fêtait ses quinze ans. Pour l'occasion, l'asbl qui l'anime voulait publier un livre rétrospectif et a sollicité pour ce faire de nombreux photographes qui avaient pris du plaisir à immortaliser ces réjouissances, un graphiste pour assurer la mise en page (mon ami Christian Printz), et moi-même pour le texte. Texte que j'ai rédigé après plusieurs rencontres avec diverses personnes impliquées dans cette renaissance et dans l'organisation de cette fête qui réunit aujourd'hui encore des milliers de Tournaisiens toutes origines et toutes générations confondues.
Dix ans plus tard, l'asbl Carnaval souhaitait sortir une nouvelle publication, qui fasse, elle, le lien entre carnavals d'autrefois et d'aujourd'hui. J'ai à nouveau accepté de rédiger ce texte. Je l'ai fait à partir, notamment, de lecture d'ouvrages historiques sur Tournai et d'une visite du Musée du Folklore. Hélas, ce texte n'a finalement jamais été publié, le livre n'ayant jamais été concrétisé, faute de moyens financiers si je me souviens bien. Le voici, en l'état.
Le Carnaval de Tournai, d'hier et d'aujourd'hui
Foi de Lucien, voilà bien 140 ans que je n’avais
plus fait carnaval ! Il a fallu que les Diables viennent mener sabbat
devant mon ancienne demeure à Saint-Piat pour que je revienne, je ne sais par
quelle grâce. Et je ne sais d’où… C’est
que du carnaval de 1863 à ceux de ce début de XXIe siècle, j’ai comme un trou
noir. Je me souviens d’une folle cavalcade avec mes amis de la Société des Bons
Enfants dans la descente de la rue Saint-Martin. Le beffroi se rapprochait
dangereusement. Puis plus rien !
Aujourd’hui, me
voilà membre de la Société des Invisibles… Bien sûr, je n’ai plus l’âge de
danser, j’observe, j’applaudis, je ris. Et
j’ai beaucoup de plaisir à constater que le carnaval est toujours très
vivant. Je crois même qu’il ne l’a jamais été autant.
De mon temps, c’était dans
les années ’60 – ’80 (je parle du XIXe siècle), on avait organisé à
la mi-carême, la dernière journée du carnaval, un cortège de masques avec pas
loin de six cents personnes ! Vous imaginez ? On n’avait jamais vu
autant de monde ! Il y avait là toutes les compagnies et tous les masques
qui d’habitude parcouraient isolément les rues de Tournai.
« Quelques mesures intelligentes prises par des
hommes d’initiative suffisent pour réunir à Tournai, en un seul cortège, cinq à
six cents personnes appartenant à la bourgeoisie et à la classe
ouvrière. »
« il sera possible d’organiser ici, au
carnaval, des cortèges attrayants qui
remplaceront fort avantageusement les bandes de masques courant
isolément et débitant au public des propos dont la convenance est parfois très
contestable. »
La Feuille de Tournai – 20 mars 1860
Ce carnaval, visiblement,
est dans les esprits trois cent soixante-cinq jours par an. Il est des maisons
où l’on ne cesse d’en parler, où chaque
jour de l’année on pourrait croire que le carnaval aura lieu le lendemain.
Les déguisements
sont, le plus souvent, faits main, made in Tournai, dirait-on aujourd’hui. Et
nombreux sont celles et ceux qui mettent un point d’honneur à s’adapter au
thème annuel.
Tout au long de l’année, les confréries (comme on
appelle aujourd’hui les sociétés de carnaval) organisent des bals, des soirées, des cabarets, autant de
prétextes à se retrouver, à chanter, à boire un verre (ou deux) et à faire la
fête.
Les membres de l’association qui organisent le
carnaval, eux, se réunissent régulièrement pour préparer l’édition suivante,
prendre contact avec des artistes, des confréries, des techniciens, des
fanfares, les services de la Ville, trouver des finances, des mécènes (on dit
maintenant des sponsors, paraît-il).
(mardi-gras)
De mon temps, le carnaval avait lieu le
dimanche de la Sexagésime(*) et le dimanche, le lundi et le mardi suivants. Le
Mardi Gras, des bals étaient organisés aux sièges des sociétés. Et à la
mi-carême (la Lætare) avait lieu le cortège.
Aujourd’hui, si les festivités se sont
concentrées sur la seule Lætare, les confréries effectuent leur première sortie
au Mardi gras. Au programme : hommage à la belle Naïade, statue vénérée de
tous les carnavaleux, et tournée des
bistrots qui servent la Naïade, la bière cette fois, vrai nectar de lætare.
La veille a eu lieu la conférence de presse
de présentation du carnaval. Je me suis laissé dire que certains journalistes
ne la rateraient pour rien au monde!
Le lendemain, Mercredi des Cendres, la
confrérie des Mouqueux d’candelles, ravivant une tradition qui remonte loin
dans le temps procède au noyache des
candelles, en laissant flotter au fil de l’Escaut une planchette sur
laquelle est fichée un reste de
chandelle de l’hiver. Ces petites lueurs portent les vœux d’une année
ensoleillée.
(*)
(c’est-à-dire 9 jours avant le Mardi Gras)
(déco des rues)
Dans les semaines qui précèdent le carnaval, la ville prend des couleurs, des poses étranges, elle joue les coquettes, elle étonne, elle questionne : des réverbères se sont pris pour des palmiers ; la lune s’est démultipliée et s’est posée partout dans les rues ; un trois-mâts s’est échoué sur la grand-place ; une autre année, c’est une gigantesque valise qui s’y fut déposée. Autant d’annonces du thème de l’année.
(déco des rues)
Dans les semaines qui précèdent le carnaval, la ville prend des couleurs, des poses étranges, elle joue les coquettes, elle étonne, elle questionne : des réverbères se sont pris pour des palmiers ; la lune s’est démultipliée et s’est posée partout dans les rues ; un trois-mâts s’est échoué sur la grand-place ; une autre année, c’est une gigantesque valise qui s’y fut déposée. Autant d’annonces du thème de l’année.
Jules, Barthélémy, Christine, Walter, Louis, Batisse
et tous ces vénérables tournaisiens pétrifiés sont habillés pour la fête par
les confréries.
Dans les heures précédant le grand jour, un
observateur aussi attentif que moi (je n’ai plus que cela à faire…) aura repéré
qu’un quartier se transforme en fourmilière où se montent tréteaux, tours
d’éclairage, espaces scéniques, personnages géants. Intrigant, non ?
(assoc - animations)
Des associations, des écoles participent à la
fête : des étudiants en arts plastiques de Saint-Luc et de l’Académie des
Beaux-Arts imaginent l’affiche du carnaval ; des écoliers fabriquent des
éléments de décor en accord avec le thème de l’année ; une association ou
une classe engendre le roi de papier, qui connaîtra une trop brève vie. Deux
critères pour une carte blanche : le roi doit être transportable (il
emmènera le public jusqu’à la Place Saint-Pierre à la fin de la Nuit des
Intrigues) et incinérable (il passera l’arme à gauche en fin de samedi).
Quel métier !
(Nuit des Intrigues)
La Nuit des Intrigues ouvre le carnaval le vendredi
soir. Nuit sombre et lumineuse, envoûtante et inquiétante, musicale et
détonante, cette invitation au voyage dans un quartier de Tournai nous plonge
dans une quatrième dimension, celle de la magie et de la folie douce. On ne
sait où donner de la tête, on sait y donner de la fête. On y est tous un peu
comédiens, musiciens, chanteurs, danseurs, badauds ébaubis, prêts à s’embarquer
pour la haute mer, un mariage ou un accouchement, pour l’inconnu, l’inattendu
ou l’impromptu.
Chaque Nuit tient de la performance, spectacle de
fusion entre diverses disciplines artistiques, entre professionnels et
amateurs. Elle constitue, la plupart du temps, une véritable création, en
rapport avec le thème de l’année.
Si les
Tournaisiens sont devenus des habitués et critiques acérés des spectacles de
rue, si on compte dans la région quelques compagnies de théâtre de rue, les
Nuits des Intrigues y sont pour beaucoup, qui ont mêlé les disciplines et fait
de milliers de badauds autant de spect-acteurs.
(place St-Pierre)
Chaque année, la
fête se poursuit, plus débridée, sans scène ni scénario, sur la Place
Saint-Pierre et le quai voisin. Dans des décibelleries de sambas, de bandas et
de ch’ti ganzas, le quartier tout entier bat le pavé. Les cafés débordent, ils
se videront à l’aube… Foi de Lucien, j’en serai témoin !
(remise des clés)
Le samedi midi,
la place de Nédonchel est place royale : le roi et la reine de l’année y
prennent très officiellement leurs fonctions. Symboliquement, le bourgmestre de
Tournai leur confie la clé de la ville : ils règneront jusqu’à l’aube
suivante.
On m’a raconté
qu’une année, les R’bouteux, gardiens de la clé, sont arrivés un peu tard à ce rendez-vous où l’on se doit d’être
ponctuel si l’on veut être aussi poli que le roi... La clé avait déjà été
remise : le commissaire Noël Noël, dont on connaît le dévouement pour le
carnaval, avait prêté à son bourgmestre la clé du commissariat… Le carnaval
était sauf !
(rois et reines)
Les premiers
carnavals connurent des rois ou reines célibataires. Ce furent des
personnalités bien connues pour leur soutien à ce type de manifestation, des
fêtards, des faiseurs de fête ou des bons vivants. Le plus souvent, les trois à
la fois. Puis vint la période d’un choix
hasardeux : une clé à attraper, un tirage au sort à emporter, un jeu à
gagner. Des formules trop peu royales. Aujourd’hui, l’asbl en est revenue à une
option réfléchie et se choisit désormais un couple royal, selon des critères…
variables. Mais sang royal ne peut mentir !
(dîner)
Au départ, ce
sont les Berlous qui ont invité à l’apéro. Histoire de se mettre en train, de
se rassembler tranquillement avant un fol après-midi. Tant qu’à faire, les
Chevaliers de Ta Mère ont proposé de poursuivre avec un repas. Les confréries y
discutent le bout de gras. Le calme avant la tempête.
(mascarade)
Dès 14h commence la grande débordée, c’est l’heure
de crue : la vague carnavalesque submerge les rues. Il vient des
carnavaleux des quatre coins de la ville. Réunis dans le centre-ville, ils
forment une foule bigarrée, un immense poulailler piaillant de notes et de
mots, de rires et d’éclats.
A mon époque, chaque société sortait dans son propre
quartier. On peut dire qu’il n’y avait pas un, mais des carnavals. Il fallut
attendre 1860 pour qu’un cortège tente de réunir tout le monde. Aujourd’hui,
les organisateurs ne veulent pas de cortège. Confréries et carnavaleux
circulent selon un sens connu d’eux seuls. Encore ai-je régulièrement des
doutes… Ce carnaval n’a-t-il d’autre sens que celui de l’humour ?
« Dès
l’après-midi, des gosses, impatients de faire comme les grands, s’affublent de
quelques hardes aussi bizarres que possible, et dégringolent de leur rulette
(ruelle) munis d’instruments quelconques propres à faire du bruit. Bientôt, les
échos des sociétés et des compagnies de masques se font entendre dans divers
coins de la ville. »
W. Ravez – Le Folklore de Tournai et du
Tournaisis
(confréries)
La mascarade du samedi, c’est le grand moment de
sortie des confréries, leur annuelle heure de gloire. On découvre les
nouvelles, on redécouvre les anciennes, certaines adaptent leur costume ou
leurs activités au thème de l’année.
Je me souviens des
sociétés de mon époque : il y avait l’Arlequin, le Pierrot, les Cœurs joyeux,
le Compère, les Quatre Dames, la Concorde, le Coq, les Cœurs réunis, le
Conservatoire d’el signor Porporas, le Doigt dans l’Oeil, les Singes, la
Jeunesse peu dorée. J’ai connu aussi d’autres sociétés, je me réjouis de les
voir toujours actives aujourd’hui : par exemple, les Loups Garous, les
Mouches à Miel, les Bons Vivants, les Sans Soucis.
Les confréries (*) sont la structure de ce carnaval, sa base, son
énergie. Elles regroupent des copains, des amis, des familles, des proches
d’une école, d’une association ou d’un mouvement de jeunesse. Si chacune a sa
vie propre et ses propres règles, toutes ont le même objectif : faire la
fête. Elles l’atteignent de diverses manières : pour la plupart, il s’agit
(et c’est déjà beaucoup !) de se manifester dans les rues, en chantant, en
dansant et en participant à toutes les activités proposées ; d’autres apportent leur contribution aux
rituels : les Diables rendent hommage à la Naïade, les P’tits Rambilles au
Pichou, les R’bouteux à la Chanson tournaisienne ; certaines s’occuperont
du lâcher de ballons, d’autres du jet de pichous, de la préparation du feu, de
la marche funèbre et tant d’autres tâches, parfois dans l’ombre. Certaines
confréries ont ramené le carnaval à l’un de ses sens premiers : la dérision,
et prennent pour cible l’actualité tournaisienne et ses acteurs politiques,
économiques, culturels ou sportifs.
(hommage à la Naïade)
N’en déplaise à tous les monarques passagers, la
véritable reine du carnaval est et restera la Naïade. La belle dénudée du
sculpteur Georges Grard rassemble à ses pieds, chaque samedi de lætare, des
milliers d’aficionados qui attendent d’elle le signal d’ouverture de la fête.
Les Diables la parent de quelque élément
de costume lié au thème et se fendent d’un semblant de discours.
Que la fête commence !
(hommage au Pichou)
Au pied de l’église Saint-Piat, le Pichou célèbre la
chanson tournaisienne. Les P’tits Rambilles et l’bourguémette ont pris
l’habitude de lui rendre hommage. En discours et surtout, comme il se doit, en
chansons.
(lâcher de ballons)
Sur le quai du marché aux Poissons, c’est l’heure du
lâcher des centaines de ballons gonflés
par les Pierrafeux. Un plaisir que ne voudraient rater ni les petits ni les
grands : l’envolée est attendue par toutes les générations, qui s’y
retrouvent, le nez en l’air.
(Pichou)
Ce nez, les carnavaleux le
gardent en l’air, au pied du beffroi,
dans l’espoir d’attraper un pichou. Les Bouffons se sont donné pour mission de
protéger les enfants de la pression de la foule.
Ce sont les boulangers de
la ville qui lancent eux-mêmes à la foule ces petits pains de leur invention,
fourrés de fruits confits. Ces pichous sont faits sur le modèle de celui de
Saint-Piat, un gamin bien sûr. (*)
De mon temps, le lendemain du
carnaval, le mercredi des cendres on l’appelait l’journée à pains quéauds : les boulangers cuisaient pour
l’occasion des centaines de baguettes. C’est qu’il faut bien manger quelque
chose de consistant après ces journées arrosées !
Il paraît que déjà au Moyen-Age,
lors de fêtes, on lançait des gâteaux et
des confiseries du haut du beffroi.
Mon
grand-père m’a raconté que, dans les années 1830, des masques quêtaient pour
les malheureux. Le produit de leur récolte était redistribué en pain aux
nécessiteux. Décidément, pain et carnaval sont indissociables. Panem et
circenses…
(*) Pichou : qui pisse souvent. Syn. de
fontaine – à Tournai, toute fontaine
était appelée un pichou
(L. Jardez, Glossaire picard tournaisien, 1998)
(chanson)
Aujourd’hui, j’ai vu des
compagnies et entendu des chansonniers qui comme autrefois se moquent de l’air
du temps, de tout ce qui fait causer dans les bistrots et de ces môssieurs qui
se donnent de l’importance.
J’ai chanté avec les
P’tits Rambilles et les R’bouteux qui entonnent des chansons tournaisiennes que
j’ai bien connues, j’ai écouté les Voix de Garage, j’ai ri avec les Z’ouilles
qui aiment bien se moquer des institutions (on les a vus en Sénateurs
Kakskouille, en Flicouille, en Cabaristouille ou encore en Gotha des Sex
Cobouille), j’ai applaudi les Insoumises et quelques autres sociétés.
Je constate avec plaisir
que cette vieille tradition tournaisienne de la chanson satirique est toujours
bien vivante !
« Notre
carnaval est frondeur et léger comme au pays Gaulois (…). A Tournai, la
chanson n’a point encore abdiqué, elle est restée debout, et de nombreuses
sociétés joyeuses, la plupart demi-séculaires, cultivent toujours la gaie
science, cet art du chansonnier.
Pour
l’ouvrier tournaisien, naturellement hâbleur et gaudrioleur, le carnaval est un
champ libre où il peut tout dire, et certes, il n’épargne ni la satire, ni la
critique piquante. (…)
Certes,
toutes ces chansons carnavalesques n’ont pas toujours été recommandables ;
on faisait quelquefois des personnalités (sic), la critique devenait
injurieuse, et, en dépit de la Constitution, on fut forcé d’établir
momentanément la censure à Tournai. Nos ouvriers poètes ont accepté docilement
cette mesure et chaque année, le commissaire en chef de police, tout étonné du
rôle de censeur littéraire qu’on lui fait jouer, reçoit la visite de nombreux
présidents qui tiennent à lui soumettre d’avance les chansons destinées à
l’impression. »
Aug. L. -
Etrennes tournaisiennes pour 1882 –
Vasseur-Delmée,
Libraire-Editeur
CARNAVAL - - MI-CAREME 1882
Conservatoire des Poporas
Les Cabartiers Y sont gourés !
Air : Saint-Joseph est copé in deux
Refrain
Ah ! ah ! ah ! ché ben fé
Les cabartiers y sont gourés
Ier couplet
Chéto avant les élections
On prometto toute sorte d’bon ;
Cheto tout suc et tout gambon
Qu’on allo mette à leu grognon ;
Asteur qu’on est nommé bernique
On s’fou d’eusses au camp catholique.
Ah !
ah ! . . etc ;
2me couplet
Votez pour l’échevin Carette
Et on va payer tous vos dettes
Votez pour Môsieur Sty et Non
On paiera vos contributions ;
Votez pou l’général in chef
Vous n’ paierez pu rien pou l’genef
Ah !
ah ! . . etc.
3me couplet
Votez pour l’brasseu Antoine
Vous ingraisserez comme un chanoine ;
Votez pour les quatre contrôleurs
Et vous arez tous les bonheurs ;
Vos
filles aront des belles toilettes,
Vos
finmes des rubans d’su leu tiêtes
Ah !
ah ! . . etc.
4me couplet
On prometto pu d’bure que d’pain
Aux fourbous d’Lille et d’Saint-Martin ;
« Si vous nommez Hinri Des Clefs
« Tous vos qu’mins y von êtes pavés
« Et même y f’ra faire un tramway
« Pour printe l’puriau à Tournai.
Ah ! ah ! . . etc.
(8 couplets en tout…)
(feu)
C’est l’heure où le roi de papier passe à la
casserole. Le grand feu s’allume, symbole de la fin de l’hiver et du renouveau
printanier. Les carnavaleux dansent autour, chantent la Danse du Ventre. S’il y
a d’la rumba dans l’air, elle a des sonorités de transe…
(marche funèbre)
Vient l’heure triste, celle du recueillement. Le
convoi funèbre s’ébranle pour descendre vers l’Escaut, y jeter les cendres de
feu le Roi. Tous les carnavaleux, toutes les confréries emboîtent le pas au
couple royal, escorté par les Alunés, les Monsenors et les Barbie et Ken. Les
Percutés donnent le rythme, lent et balancé d’un pied sur l’autre.
Quand le fleuve
emporte les restes du roi de papier, la foule le salue en chantant. Le roi et
la reine prononcent leur discours : le roi est mort, vive le roi ! La
fête est finie, elle ne fait que commencer !
(texte chanson ?)
Salut, Roi Carnaval etc.
(Souper)
Dans
les restaurants de la ville ou, depuis plus récemment, à la Halle aux Draps,
les confréries regroupent leurs forces (et en reprennent) avant d’affronter
cette dernière nuit. Je m’invite, de table en table.
(Bal)
De Halle aux
Draps en chapiteau, puis à nouveau en Halle aux Draps, le bal fait le plein de
musiques, de danseurs, de folies. Des groupes aussi allumés que Pupitre Casserole, les Fils de
Teuhpu, Marcel et son orchestre ou Eksapette y ont mis le feu.
Actes de
la régence
« Nous, bourgmestre et échevins de la ville de
Tournai, avons arrêté et arrêtons :
« Les
divertissements du Carnaval auront lieu cette année comme d’usage. » (les
Dimanche, Lundi et Mardi gras) (…)
« Il
sera accordé des permissions de donner à danser aux personnes d’une moralité
connue, qui ont des maisons assez spacieuses pour ce divertissement et qui
n’ont jamais contrevenu aux règlements de police. »
le
28 février 1821
(Et après)
La fête se
termine… quand elle peut. Aux petites heures pour les uns, aux grandes pour
d’autres. Certains tiennent jusqu’au dimanche soir, d’autres jusqu’au lundi. Le
dimanche est jour de grandes rencontres et embrassades entre confréries. C’est
aussi l’occasion pour ceux qui ont travaillé à l’organisation de la fête de la
faire enfin. Il me revient qu’on aurait encore croisé certains carnavaleux en
(fin de) goguette le mardi. Mais ce doit être là le fruit de l’imagination de
certains esprits embrumés.
« Le
premier Dimanche de Carême a vu les dernières folies : tout est rentré
dans l’ordre accoutumé ; et, de tous ces frais de bourse, d’esprit, de
toilettes et de jambes, il ne reste que des souvenirs et des regrets, tous de
natures différentes. Ici, on se souvient d’avoir été au bal masqué à l’insu
d’un crédule mari, et on regrette d’avoir mal caché son jeu ; là, on se
rappelle sa bonne mine, sa légèreté sous le costume d’arlequin ; ailleurs,
son air grotesque en gille, et on regrette le plaisir passé tout en se frottant
une épaule douloureuse ou un genou froissé ; ailleurs, on a bravé la neige
et le vent pour aller intriguer, danser, jaser, boire et manger, et on regrette
la table, la danse et les intrigues. Viennent ensuite les souvenirs et les
regrets des loueurs de voitures, des costumiers, des limonadiers, des
cabaretiers, tous gens qui souhaiteraient, avec je ne sais quel chansonnier,
qu’on eût inventé Un seul jour de Carême
Et
quarante Mardi Gras. »
La
Feuille de Tournai – 14 mars 1824
LE CARNAVAL DE TOURNAI A TRAVERS LES AGES
Il ne sera pas ici fait œuvre d’historien,
ce travail de recherche reste à effectuer, mais il apparaît rapidement, dès
qu’on se plonge dans les archives, qu’on retrouve trace du carnaval tournaisien
loin dans le temps. Ses formes furent aussi diverses que ses succès.
L’EVEQUE DES FOUS
La plus ancienne trace du carnaval que nous ayons retrouvée remonte au
XVe siècle : à l’époque, durant quelques jours de folie, les vicaires de
Tournai, comme ceux de tous les évêchés de Picardie et de Paris, se
choisissaient un « évêque des fous », une manière – comme dans toute
tradition carnavalesque – de se moquer de l’autorité.
« La fête des fous voyait la hiérarchie cléricale s’inverser, les
sous-diacres – on glosait volontiers les diacres
saouls ! - prendre la place des
dignitaires et pratiquer dans le sanctuaire ce qu’Innocent III dénoncera, en
1210, comme des « jeux insensés » - danses, sermons bouffons et
cantiques à double sens, mascarades. » (Daniel Fabre : Carnaval ou la
fête à l’envers, Découvertes Gallimard.
« Sur un échafaud dressé devant le portail de la cathédrale –
écrit Auguste Bocquillet dans la Revue tournaisienne en 1909 – on élisait parmi
les vicaires un évêque des fous , que l’on promenait ensuite bruyamment
pendant plusieurs jours par toute la ville. Il est probable qu’après n’avoir
été à l’origine qu’une fête célébrée en famille par les seuls vicaires,
vicariats, primetiers et petits clercs, la cérémonie avait eu tant de succès
que les profanes y avaient pris part et qu’elle s’était ainsi transformée en un
cortège carnavalesque. »
Certains historiens estiment que le lien entre carnaval et évêque des
fous réside uniquement dans le rituel d’inversion : le petit, le
sans-grade a, un bref moment, le droit d’occuper la première place. Mais si les
acteurs du carnaval sont laïcs, ceux de la fête des fous sont vicaires. Et si
ces sous-diacres attiraient derrière eux une foule importante, celle-ci suivait
plutôt en procession qu’en bacchanale, estime Yann Dahhaoui, chercheur suisse,
spécialiste de l’Histoire médiévale, préparant une thèse de doctorat sur la
Fête des Fous à Tournai.
Le 24 décembre 1451, comme chaque année à pareille époque – rapporte A.
De La Grange dans les bulletins de la Société historique et littéraire de
Tournai (1884) – le magistrat tournaisien tente d’interdire l’élection de
l’évêque des fous qui avait lieu traditionnellement le jour de la Fête des
Innocents, l’évêque en question restant en fonction jusqu’au jour des Rois,
voire – selon certains – jusqu’au carnaval (note : ce qui indiquerait
qu’il y avait alors bel et bien un carnaval, en sus de cette fête). Les prévôts
ont interdit à leurs sujets, écrit le magistrat, de faire aucun abbé ou évêque
des fous, ni autre personnage quelconque pour « démener folie », et
que nul ne soit « si hardi de faire des cris, des murmures ni des
assemblées illicites ». Depuis plus de deux siècles (mais certains
estiment que la coutume remonterait aux saturnales romaines), les vicaires de
Tournai ont pris l’habitude d’élire, le jour des Innocents, un évêque des sots
et de « faire des jeux » dans les rues pendant sept à huit jours.
Après quoi, l’on se réunit pour parler des chanoines, en s’en moquant peut-on
imaginer, en ingurgitant pain et vin envoyés par le Chapitre des dits chanoines
et les autorités.
Les interdictions tenaient visiblement surtout de l’exhortation, la
jeunesse défendant cette tradition. Tant et si bien que la fête se poursuivit
malgré tout. Jusqu’en 1498, quand elle fit scandale, la fête tournant à l’aigre
(voir Jean Cousin, Histoire de Tournai, liv, IV, pp. 260 – 262).
Le 27 décembre 1498, raconte
Auguste Bocquillet, vingt à trente personnes, parmi lesquelles quelques
officiers et sergents de ville, se réunissent le soir dans un cabaret, bien
résolus à célébrer la fête traditionnelle. Hélas, aucun vicaire n’est visible.
Ils se sont conformés aux défenses du Chapitre.
Qu’à cela ne tienne : il suffit d’aller les chercher chez eux.
Leurs portes sont enfoncées et on amène de force au cabaret sept à huit
vicaires à peine vêtus.
L’un d’eux est nommé évêque et promené à travers la ville. Le Chapitre
intervient auprès des prévôts et jurés pour qu’ils fassent respecter
l’interdiction. Ceux-ci se contentent d’en rire, arguant que la coutume est
ancienne dans la ville. Finalement, les chanoines envoient le sonneur de
Notre-Dame parlementer avec la bande. Mal leur en prend : le sonneur,
capturé, vient grossir le cortège qui déambule dans la ville. De sorte que les
cloches de la cathédrale deviennent muettes et, à leur suite, celles de toutes
les églises de Tournai, puisqu’on ne sonnait jamais dans aucune église tant que
Notre-Dame n’avait pas donné le signal. Les chanoines font ainsi interdire
toute sonnerie au curé de la Madeleine, espérant que la perturbation qui en
résulterait déciderait les trop joyeux drilles à relâcher les vicaires. Ce
qu’ils finissent par faire, confiant cependant l’évêque des fous à la garde
d’un habitant de la rive droite qui, étant d’un autre diocèse, n’a rien à
craindre.
L’histoire ne dit pas quand il fut relâché. Par contre, elle a conservé
en mémoire le nom de Renaud Gardavoir, le dernier évêque des fous à Tournai.
« La fête des brandons ou des escouvillons est une vieille coutume
picarde datant du XVe siècle. (…) (//// ??? ////)
Cette coutume se pratiquait à la campagne mais aussi à Tournai.
Au début du XIXe siècle, elle s’organisait encore le jour du grand
carnaval et jours suivants sous forme de pièces bouffonnes dégénérant souvent
en farces de mauvais goût. (…)
Le carnaval avait lieu le dimanche de la Sexagésime, le dimanche, le
lundi et le mardi suivants. Il fut à l’origine d’une multitude de sociétés de
carnaval pour la plupart ouvrières, subsistant grâce aux cotisations de ses
membres. » (…)
Jo Bernard – origine et date non
précisés
AU XIXe SIECLE
Très habités, les quartiers de la ville avaient chacun leur vie propre,
souvent centrée autour des cafés, alors
très nombreux.
A l’époque, le carnaval était fêté dans chaque quartier. Peut-être dès lors conviendrait-il de mettre le terme au pluriel. Il y avait des carnavals. Et parfois une tentative de les unifier en un cortège, comme on les a toujours aimés à Tournai…
A l’époque, le carnaval était fêté dans chaque quartier. Peut-être dès lors conviendrait-il de mettre le terme au pluriel. Il y avait des carnavals. Et parfois une tentative de les unifier en un cortège, comme on les a toujours aimés à Tournai…
« La ville de Tournai était, au siècle dernier (ndlr : le
XIXe), une des cités où les sociétés carnavalesques étaient florissantes et
lorsqu’elles étaient de sortie, elles semaient une joie exubérante dans les
rues envahies par la foule. Ces sociétés, très sérieusement dirigées, étaient
en majeure partie composées d’ouvriers qui, moyennant une légère cotisation
payée régulièrement au cours de l’année, pouvaient, en temps de carnaval,
sortir et boire aux frais de la caisse. »
« Le carnaval débutait très tôt le matin avec les gosses qui,
revêtus de loques disparates, déambulaient en chantant. Mais, dès l’après-midi,
le signal de mise en branle des sociétés était donné, avec musiques et chansons
du jour écrites par un barde de la société et qui étaient farcies de traits
piquants.
La foule envahissait la rue, mais aussi les cafés, car c’est là que
l’on intriguait gentiment. Les sociétés y pénétraient à la queue-leu-leu ;
on aguichait les consommateurs et on ressortait sans avoir bu, ce qui valait le
surnom de « sans-liards ».
« (…) Ces journées de carnaval étaient pétries de franche gaieté,
et le commerce marchait à plein rendement. »
« Dès l’après-midi, des gosses, impatients de faire comme les
grands, s’affublent de quelques hardes aussi bizarres que possible, et
dégringolent de leur rulette (ruelle) munis d’instruments quelconques propres à
faire du bruit. Bientôt, les échos des sociétés et des compagnies de masques se
font entendre dans divers coins de la ville. »
Walter Ravez – le Folklore de Tournai et du
Tournaisis - 1949
« Il sort des masques de partout ; du café des Beaux-Arts, du
Café de l’Académie, de l’Europe, du Bavaro, du Carillon, du Grand Bock, du Café
de Paris. Tous ces cafés de la Grand-Place, déjà débordants de consommateurs
(…), sont pris d’assaut. Les masques se glissent dans l’étroit couloir,
sautant, s’entre-choquant, repartant comme ils sont venus, sans consommer,
naturellement. Eh ! tas d’sans
liards ! leur crie-t-on en guise de salut. » W. Ravez – idem
« Plus placides, des Pêcheurs, affublés d’un sarrau bleu ou d’une
blouse de peintre, coiffés d’un chapeau de paille, tenant une canne à pêche, se
promenaient lentement sur la Grand-Place et amusaient la marmaille. (…) La
perche dont ils étaient munis portaient comme hameçon un pain français enduit
de sirop, et les titis devaient le lécher sans le toucher des mains, réussite
qui leur valait un sou, qui se doublait d’un autre lorsque, le visage
barbouillé de mélasse, ils consentaient à se plonger la figure dans un panier
de plumes.
A côté de ce tableau très tournaisien, il ne faut point omettre les
amusantes paillasses dans lesquelles des groupes de cinq ou six personnes
s’étaient fait coudre devenant ainsi solidaires pour leurs moindres
gestes. » W. Ravez – idem
(…)
« La tradition avait créé ce que l’on appelait le tour des masques ; ceux-ci (…)
suivaient un itinéraire précis : rue de Pont, rue des Puits-l’Eau, rue
Gallait, rue des Chapeliers, Grand-place, rue de Cologne et rue du Cygne ;
il y avait aussi la promenade des quais à laquelle s’associaient Roubaisiens et
Tourquennois qui s’en faisaient un but d’excursion. Les promeneurs, en files
compactes exécutaient le même circuit,
sûrs de rencontrer les masques sur leur chemin, avides de se mêler à leurs
ébats et de subir l’entraînement de leurs sarabandes endiablées. (…)
« La verve tournaisienne, pétillante ou agressive, ironique ou
taquine, se donnait libre cours et se n’était pas un mal. Il fallait supporter
la plaisanterie, savoir entendre l’riache,
comme on disait, ou bien il seyait de rester prudemment chez soi, ce que ne
manquaient pas de faire les gens dont la conscience n’était pas en repos, dont
la vie publique ou privée avait prêté à équivoque ou à critique ; c’est peut-être chez ceux-là
que l’on a puisé les plus implacables ennemis du carnaval. » W. Ravez – idem
Dans les années 1820, la Feuille de Tournai nous apprend que le
carnaval se fête le dimanche, le lundi et le mardi gras, mais aussi le dernier
dimanche de carême ( ?/// ). Un bal masqué était organisé le mardi gras.
En 1822, les mascarades furent peu nombreuses, une seule réunion de
masques eut lieu et le bal masqué fut peu fréquenté. « Le goût des
déguisements et des intrigues se perd. »
Deux ans plus tard, à en croire le féroce chroniqueur de la Feuille de
Tournai, la foule ne fut pas non plus au rendez-vous…
« Le Dimanche, le Lundi et même le Mardi gras ont été, cette
année, célébrés à Tournay d’une manière remarquable : l’affluence des
promeneurs n’attendait que le beau temps pour se montrer ; elle a attendu
pendant les trois jours ; on n’a vu que la file des voitures ; elle
se composait de cinq fiacres le premier jour, d’une demi-douzaine le second
jour ; mais le troisième jour, on en a remarqué au moins dix, sans compter
un cabriolet et un chariot de campagne ; toutes les précautions avaient
été prises pour maintenir l’ordre et la tranquillité ; enfin, on peut
assurer qu’aux masques près, jamais carnaval n’a été plus brillant et plus
gai. » La
Feuille de Tournai – 7 mars 1824
«Tous n’ont qu’un désir, tous ne courent qu’un but, et ce but est
l’oubli de ce qu’on est. Tous l’atteignent, aussi tous sont heureux au moins
pendant trois jours de l’année et c’est beaucoup, beaucoup pour la
vie ! Plus un peuple est grave, plus il se livre avec ardeur à cette fête
de l’extravagance. » La Feuille de Tournai – 1827
En 1830, à l’exception de quelques soirées, le carnaval s’est passé
presque inaperçu. « Le mauvais temps avait retenu chez eux et promeneurs
et masques. » Le bal du théâtre a été moins animé encore que d’habitude.
Le troisième bal n’aura lieu que s’il y a assez de réservations.
Mais il y eut aussi, heureusement, quelques belles années.
Ainsi, en 1934, on a pu admirer un grand nombre de masques sur les
quais et dans les rues. C’est le beau temps qui a fait venir le monde :
d’habitude, nous dit le chroniqueur, il y a peu de monde pour les trois jours
de carnaval.
En 1842, une cavalcade réunissant de 80 à 100 pierrots était prévue
pour le dimanche.
« Le carnaval a été aussi triste que le temps, et ce n’est pas peu
dire. Au reste, il paraît que partout en Belgique, ces trois jours de folie se
sont passés très raisonnablement. Nous laissons les philosophes à juger si
c’est là un indice de progrès social. »
La Feuille de Tournai – 2 mars 1843
En 1846, une mascarade fut organisée, avec deux chars, prétexte à quête
pour les malheureux. La somme recueillie permit de distribuer 1630 pains
aux pauvres.
D’autres mascarades eurent lieu, mais furent assez clair-semées (sic). Par contre, il y eut beaucoup de monde dans les bals de société et au théâtre. Cette année-là, les chansons des masques furent « gaies comme un de profondis ».
D’autres mascarades eurent lieu, mais furent assez clair-semées (sic). Par contre, il y eut beaucoup de monde dans les bals de société et au théâtre. Cette année-là, les chansons des masques furent « gaies comme un de profondis ».
Le 16 mars 1860, la Feuille de Tournai annonce pour la journée de
mi-carême (« dernière journée du carnaval »), un cortège de masques
« tel qu’on en aura vu rarement à Tournai » : il se composera de
pas moins de 600 personnes.
« Chaque année, au carnaval, on rencontre dans les rues de la
ville, différentes compagnies masquées qui marchent isolément. (…) Les costumes
sont presque toujours peu soignés, les chansons rarement bien faites et souvent
insignifiantes.
Quelques personnes ont eu l’heureuse idée de réunir ces divers groupes
en un cortège. Six médailles seront décernées : meilleure chanson patoise, chanson la plus originale,
meilleure exécution, société qui déploiera le plus de pompe, société la plus
originale, société la plus nombreuse. »
Douze sociétés ont déjà répondu
à l’appel : l’Arlequin (créée en 1774), le Pierrot, les Cœurs joyeux, le
Compère, les Quatre Dames, la Concorde, le Coq, les Cœurs réunis, Porpora, le
Doigt dans l’œil, les Singes, la Jeunesse peu dorée.
A partir de 2h de l’après-midi., les sociétés parcourront séparément
les rues de la ville. A 4h 1/2, elle se
réuniront place du Parc pour le concours, puis le cortège. « Ce cortège
sera assurément fort long, certaines personnes affirment même qu’il sera
brillant ».
La Feuille de Tournai nous apprend, le 20 mars 1860, que
malheureusement le temps fut sombre et pluvieux pour le cortège dont le but
était d’« attirer les campagnards des environs et donner un peu
d’animation à la ville ».
« C’était un pêle-mêle et un vacarme épouvantables et l’on avait
peine à distinguer les masques qu’entouraient des milliers de
parapluies. »
Néanmoins, le chroniqueur se réjouit de constater que « quelques
mesures intelligentes prises par des hommes d’initiative suffisent pour réunir
à Tournai, en un seul cortège, cinq à six cents personnes appartenant à la
bourgeoisie et à la classe ouvrière. »
« Il sera possible d’organiser ici, au carnaval, des cortèges
attrayants qui remplaceront fort
avantageusement les bandes de masques courant isolément et débitant au public
des propos dont la convenance est parfois très contestable. »
Les Etrennes tournaisiennes pour 1882 témoignent de ce que le carnaval
sur cependant fut bien vivant.
« (…) notre carnaval est
(…) frondeur et léger comme au pays
Gaulois et ses principaux acteurs présentent assez d’originalité et d’intérêt
pour que l’on s’arrête un instant devant eux. »
Suit la description des principales figures du carnaval : roctier,
prince d’Allain, milord anglais, sauvage, Turc, Arlequin, pêcheu d’sireop,
bergère, marquise, etc.
Mis le trait le plus caractéristique de cette étude porte sur les
chansons populaires du carnaval.
« A Tournai, la chanson n’a point encore abdiqué, elle est restée
debout, et de nombreuses sociétés joyeuses, la plupart demi-séculaires,
cultivent toujours la gaie science, cet art du chansonnier. (…)
C’est ainsi que nos goguettiers modernes, accompagnés de leurs femmes,
précédés de tambours et parfois d’une bruyante fanfare, continuent de promener
à travers nos rues la satire triomphante. Fiers sous leurs oripeaux d’emprunt,
ils parcourent l’itinéraire traditionnel, dit le Tour des Masques, s’arrêtent
aux mêmes carrefours et chantent d’un air convaincu, sans se soucier des palmes
à conquérir, sans prétendre à quelque renommée, les couplets de leurs poètes
favoris.
Ils semblent remplir un devoir sacré : courir à masque, et, le
jour terminé, ils rentrent tout heureux dans leurs quartiers
respectifs où ils se hâtent de réintégrer le domicile social, au grand bonheur
du cabaretier empressé à servir ses consommations.
C’est là que la bière coule à flots et que malgré les fatigues de la
journée on assiste au grand bal masqué et travesti où des rafraîchissements de
premier choix sont offerts de droit à la femme et aux enfants de chaque
sociétaire. C’est le bouquet de fête, c’est la bacchanale en famille.
Ceux qui assistent seulement aux bals de l’Enflé, du Picotin et du
Théâtre ne peuvent se faire une idée des scènes chorégraphiques qu’on voyait
jadis au Grand Noble et qu’on peut voir encore de nos jours chez Monique, chez
Tranchant, chez Patin, à l’Aigle Noir, au Grand Saint-Georges, au Duc de
Bavière ; à la Couronne et dans d’autres temples populaires inaccessibles
aux profanes. C’est là que l’Arlequin, les Porporas, les Nerviens, les
Sans-Gêne, les Sans-Soucis et tutti quanti prennent leurs ébats, valsent,
tourbillonnent et galopent sans perdre haleine au son d’un orchestre sonore
composé d’un cornet à piston, d’un trombone, d’une clarinette et d’un tambour.
C’est une effervescence à jet continu, une véritable frénésie qui ne fait que
croître, mais que les nombreuses visites à la salle à rafraîchir calmeront bientôt.
Quand l’heure de l’épuisement est arrivée, l’Ancien commande à
l’assemblée de s’asseoir par terre et donne le signal de la Danse des Cloches,
menuet peu connu dans nos salons et qu’on ne doit pas toutefois confondre avec
le pas gracieux en vogue sous Louis XV.
Tels sont les délassements de l’ouvrier tournaisien, resté fidèle aux
traditions du plaisir : pour lui, le carnaval n’a pas brisé ses marottes
et il est encore de beaux jours pour la vieille gaîeté. »
Aug. L. - Etrennes tournaisiennes pour
1882
Vasseur-Delmée, Libraire-Editeur
En 1883, sous une pluie battante, le carnaval fut complètement mort le
dimanche. A part les Pêcheurs napolitains qui fêtaient leur cinquantième anniversaire,
« c’est à peine si l’on voyait un masque de temps en temps ».
A la fin du XIXe siècle ou au début du XXe, Tournai connut une
tentative de création d’un carnaval d’été. Les bourgeois et notables
s’efforcèrent sans grand succès de lancer un cortège carnavalesque qui aurait
présenté une image plus digne et plus contrôlée de la population que les
débordements des jours gras.
L’ PEQUEU A CHIREOP
Au Musée du Folklore est représenté l’ péqueu à chireop. Affublé d’un
long nez pointu, il tient une perche à laquelle est fixée une ficelle. Au bout
s’agite un morceau de pain imbibé de sirop. S’ils parvenaient à le lécher sans
le toucher avec les mains, les enfants recevaient un sou. Et plus, s’ils
plongeaient dans un récipient rempli de plumes leur visage barbouillé de
sirop !
AU XXe SIECLE
Dans l’entre-deux guerres, Frère Félix de l’école des Frères prévenait
ses élèves en période de carnaval : « Quand vous verrez un masque,
vous pourrez écrire sur son dos : damné ! ».
Fernand Désir était connu pour son plaisir à intriguer. Il changeait de
déguisement plusieurs fois pendant le carnaval, se croyant méconnaissable, et
était toujours aussi dépité de ne pouvoir faire trois pas sans se faire
interpeller : « T’es bien beau, Fernand ! »
En 1949, dans « Le Folklore de Tournai et du Tournaisis », Walter
Ravez constatait la disparition de la fête à Tournai: « On ne parlera
bientôt plus du carnaval que comme d’une chose morte… Le folklore le revendique
comme une des manifestations les plus bruyantes de la vieille gaieté
populaire. »
Dans les années ’70, l’Association des Commerçants rachète ( ?)
des grosses têtes du carnaval de Nice et lance un carnaval de type corso fleuri. La sauce ne prendra
pas.
En 1981, le carnaval redémarre, presque par surprise…
A lire :
- Le Carnaval de Tournai – asbl Carnaval de Tournai – texte de Michel
Guilbert, éditions Confettis, 1995
- Le Folklore de Tournai et du Tournaisis – Walter Ravez, 1949
- Carnaval ou la fête à l’envers -
Daniel Fabre - Gallimard
Découvertes, 1992
- Le carnaval – Michel Feuillet – Cerf / fides, 1991
- Fêtes des fous et carnavals – J. Heers – Fayard, 1983
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